>> Depuis que le groupe Ting Hsin a lancé l’an dernier sa marque Master Kang, le marché taiwanais des nouilles instantanées est en ébullition
Ces dix dernières années, le groupe Ting Hsin a conquis le marché continental des nouilles instantanées, au point que le nom de sa marque, Master Kang ( Kang Shifu), est entré dans le vocabulaire de base de la ménagère chinoise. Ainsi, chaque année, Ting Hsin en vend 6,5 milliards de sachets ou bols, selon la présentation. Ayant pu rapatrier 100 millions de TWD dans l’île, Ting Hsin a signé il y a quelques mois avec le groupe Wei Chuan Food Corporation un accord pour la fabrication dans l’île de nouilles commercialisées sous sa marque continentale. Au prix de 16 TWD le sachet ici, Master Kang s’est vite taillé une place de choix sur le marché insulaire des nouilles instantanées.
Wei Ing-chou [魏應州], le président du groupe taiwanais Ting Hsin, qui a développé une partie de ses activités en Chine, a annoncé un ambitieux plan qui lui permettrait de prendre dans les deux années à venir 20% du marché insulaire et de faire en sorte que toute la gamme de nouilles Master Kang vendue ici, pour le moment fabriquée sur le continent, soit rapidement produite sur place.
Sentant la menace, Uni-President Enterprises Corporation, qui détient actuellement 50% du marché taiwanais, a cherché à contrer l’attaque de Master Kang. Le géant de l’agroalimentaire taiwanais s’est entendu avec President Chain Stores Corporation, une de ses filiales, pour offrir un rabais de 20% sur toutes ses variétés de nouilles instantanées et projette en outre d’étendre sa gamme avec des nouilles diététiques.
La guerre est ouverte
Parlant d’un retour en force de Ting Hsin à Taiwan, Wei Ing-chou fait remarquer que sa marque continentale, Master Kang, ne veut détrôner personne, mais cherche plutôt à se tailler un marché dans la région économique de la Grande Chine. « Nous avons décidé de reprendre pied ici parce que Taiwan est un marché très important du point de vue des affaires. Mais c’est aussi sentimental », justifie Wei Ing-chou.
Pour ce faire, Ting Hsin a importé les équipements japonais les plus modernes pour sa chaîne de production de Touliu, dans le centre de l’île, et s’est associé avec Wei Chuan.
Wei Ing-chou a aussi annoncé qu’après Master Kang, sa société cherchera à commercialiser dans l’île plusieurs autres de ses marques et produits alimentaires qui ont tant de succès de l’autre côté du détroit.
Ting Hsin a lancé un défi aux fabricants insulaires de nouilles et attend de voir s’ils ne vacilleront pas sous la pression. Selon Simon Hung, directeur des relations publiques d’Uni-President, sa firme déploie de grands efforts pour amener de nouveaux produits sur le marché, comme les jisi mian [雞絲麵] (nouilles au blanc de poulet coupé en lamelles) ou encore les nouilles « qui ne font pas grossir », non frites, à 280 calories seulement la portion - un sachet ordinaire a une valeur énergétique d’environ 450 calories.
Un autre fabricant, Wei Lih Food Industrial Company, même s’il désire rester neutre dans cette bataille, cherche tout de même à protéger son secteur. La firme, qui est renommée pour ses zhajiang mian [炸醬麵] (nouilles à la pâte de soja épicée à la sichuanaise) ou bien ses rouzao mian [肉燥麵] (nouilles au porc à l’oignon), a lancé récemment deux recettes de style coréen.
Un favori
Selon une étude menée par l’Institut de recherche et de développement sur l’industrie alimentaire, basée à Hsinchu, les ventes de nouilles instantanées dans l’île se sont élevées en 1993 à 6,3 milliards de TWD. En 2001, elles ont dépassé le cap des 10 milliards de TWD, un argument qui a poussé les fabricants à aiguiser leurs couteaux à la vue des petits sachets.
Selon la société de sondage AC Nielsen, le marché des nouilles instantanées, dans son ensemble, a accusé ces dernières années un léger tassement, du fait de la récession. Néanmoins, de janvier à septembre 2002, les ventes ont connu une augmentation de 2,4% par rapport à la période correspondante l’année précédente.
Un sondage réalisé d’août à octobre 2002 par Koos International et le service de recherche et de marketing d’United Advertising Company a montré que 86% des personnes interrogées ont dit avoir consommé au moins une fois des nouilles instantanées au cours de la semaine précédant l’interview. Les consommateurs étaient plus fréquemment des hommes - des cols blancs ou des étudiants de moins de 24 ans. L’étude a encore confirmé que les nouilles instantanées formaient l’ordinaire des étudiants logeant dans une chambre louée loin de leur famille.
Parmi les nombreuses variétés mises en rayon, les plus populaires sont les nouilles au porc parfumé à l’oignon (44%), suivies de celles au bœuf (34%), puis aux crevettes, aux côtes de porc et les rougucha mian [肉骨茶麵] (nouilles au porc à la singapourienne). Les principaux critères de choix évoqués par les consommateurs sont, dans l’ordre, la commodité, le goût, les ingrédients, le conditionnement, le renom de la marque et le prix du produit. Les jeunes, toujours prêts à essayer une nouvelle saveur, incitent les fabricants à élargir leur gamme pour se démarquer de leurs concurrents.
Il est intéressant de noter qu’avec l’évolution des mœurs, le poisson ou la viande traditionnellement présentés en offrande aux dieux, comme durant la fête des Fantômes, sont peu à peu remplacés par des fruits ou des céréales conditionnées et même parfois par des nouilles instantanées. Cette tendance a aussi influencé les ventes.
Dans les bagages... jusqu’au Pôle Sud
L’histoire des nouilles instantanées remonte à une quarantaine d’années. Il n’est pas exagéré de dire que ce produit inventé au Japon a changé la vie des Asiatiques, suivant les progrès des techniques de conservation et de conditionnement des aliments. Les nouilles instantanées se sont avérées le choix idéal pour les étudiants préparant des examens, les employés faisant des heures supplémentaires, les célibataires vivant loin de leur famille lors d’un premier emploi. Elles sont devenues un en-cas particulièrement apprécié des enfants. Elles jouent un rôle important pour les alpinistes ou les sportifs ou encore, par exemple, les scientifiques japonais stationnés en Antarctique. Même le Premier ministre japonais emporte des nouilles instantanées dans ses bagages lors de ses voyages à l’étranger.
Le premier bol de nouilles instantanées, que les fabricants avaient initialement baptisées « nouilles au poulet », a vu le jour le 25 août 1958. Puis sont venues les nouilles en soupe, au miso (pâte de soja jaune), froides à la chinoise, frites, etc. Au début des années 70, la production a grimpé fermement, d’autant que les consommateurs nippons leur prêtaient des propriétés reconstituantes.
Pour répondre à la demande nationale, le plus grand fabricant de nouilles japonais, Nissin Food Products Company, a continué d’inonder le marché de nouvelles recettes, y compris les préparations à réchauffer au four à micro-ondes ou à cuire sur un petit réchaud de camping. Beaucoup d’autres pays asiatiques ont pris modèle sur le Japon, au point que la préparation est devenue en l’espace de quarante ans un des aliments de base de la région.
Le goût taiwanais
Au tout début, Taiwan les a importées directement du Japon. Mais comme les ramen (en chinois lamian, « nouilles étirées ») n’étaient pas du goût des insulaires, leurs ventes sont restées faibles. C’est alors que San Miguel Corporation a lancé en 1968 des nouilles convenant mieux au palais des Taiwanais, qui connurent un succès foudroyant.
Pour répondre à la demande, les usines se sont multipliées très vite dans l’île. Trois ans plus tard, en 1971, une vingtaine d’entre elles avaient déposé leurs recettes. La population de l’île à l’époque étant de 14 millions d’habitants pour des ventes estimées à 600 000 sachets par jour, la moyenne annuelle de consommation était de 16 paquets par habitant. Taiwan et le Japon sont encore aujourd’hui les plus grands consommateurs de ce produit, suivis de la Corée du Sud, de Hongkong et de Singapour.
Après des années d’une féroce compétition, le marché insulaire a fini par se stabiliser. Ainsi, les statistiques montrent qu’en 2000, Uni-President se taillait ici la plus grosse part avec 50% des ventes, devant Wei Lih (20%), Vedan (18%), Ve Wong (7%) et King Car (2%). Il reste donc à voir comment va réagir le marché insulaire face à l’arrivée en force de Master Kang.
La modération est recommandée
Les ventes de nouilles instantanées ont explosé, de même que le nombre d’articles de presse signalant des effets secondaires sur la santé des consommateurs.
Les rumeurs vont bon train. Une histoire souvent racontée est celle de cette étudiante américaine de l’Université Tunghai qui se nourrissait presque exclusivement de nouilles en sachet, en mangeant le matin, à midi et le soir, sept jours par semaine. Au bout d’un mois de ce régime, elle a commencé à perdre ses cheveux par poignées...
En effet, les médecins mettent régulièrement en garde le public contre la haute teneur en sel de ce produit, ce qui fait augmenter la pression artérielle à la longue, et les agents conservateurs cancérigènes qui peuvent lui être ajoutés. Et, comme certains fabricants moins scrupuleux utilisent des résidus d’huile de cuisine, la consommation de ces nouilles peut causer des troubles de la santé. Les médecins soulignent encore que, comme les nouilles instantanées ont une très faible teneur en vitamines, les personnes qui s’en nourrissent essentiellement développent assez souvent une avitaminose.
La persistance des craintes et des doutes n’a cependant pas eu une grande influence sur les ventes de ce produit qui ont continué de croître. Cela est sans doute dû au fait que les consommateurs les mangent en général en guise de petit casse-croûte, et non comme un plat principal.
Les nouilles instantanées contiennent-elles vraiment des agents conservateurs ? Lu Yi-fa [盧義發], professeur nutritionniste à l’université catholique Fu Jen, près de Taipei, explique que les nouilles instantanées, frites et déshydratées, doivent pouvoir se conserver six mois. Leur durée de conservation n’est donc pas seulement due aux agents conservateurs. Le climat chaud et extrêmement humide de l’île est cependant leur plus grand ennemi. Comme ces nouilles sont frites, elles s’oxydent et se gâtent facilement. Pour limiter ce problème, les fabricants ajoutent souvent un anti-oxydant aux nouilles ou à l’huile de friture, alors que les sauces et assaisonnements qui les accompagnent sont empaquetés à part dans des sachets en aluminium stérilisés à très haute température. Quoi qu’il en soit, les nouilles instantanées doivent être conformes aux normes édictées par l’office de la Santé qui stipule que le produit ne peut contenir plus de 200 p.p.m. d’anti-oxydants.
Changer le monde ?
Les nouilles instantanées sont devenues le snack le plus vendu en Asie orientale. Elles font un tabac en Chine continentale. Ces dernières années, la folie pour ces nouilles s’est exportée en Amérique latine - au Mexique, au Venezuela, au Costa Rica, au Brésil et à Puerto Rico. Alors que la production mondiale augmente de jour en jour, les fabricants de nouilles instantanées dépendent de plus en plus du blé australien, leur ingrédient de base.
En mars 2002, l’Association des producteurs de blé des Etats-Unis a mené une enquête auprès du Centre asiatique de développement de la technologie des nouilles, à Singapour, sur le commerce des nouilles instantanées en vue de rapprocher les producteurs de blé américains et les consommateurs asiatiques. Des experts de Taiwan, de Thaïlande, d’Indonésie, de Malaisie et des Philippines ont été invités à déterminer quelles variétés de blé seraient les mieux adaptées, en termes de couleur, de qualité et de saveur, aux palais asiatiques.
L’association américaine prédit que les nouilles asiatiques vont changer les habitudes alimentaires dans le monde, pour devenir plus populaires encore que les pâtes italiennes. Peut-être la bataille entre marques qui a éclaté dans l’île est-elle le prélude à une guerre mondiale des nouilles... ■